Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Faut-il arrêter le comté ? Le débat enfle, à coup d’articles dans la presse, la ministre de l’Agriculture a dû s’exprimer. Comment en est-on arrivé à se poser cette question à propos d’un des fromages AOP les plus consommés de France?
Tout est parti d’une chronique sur France Inter, la semaine passée. Un militant écolo et animaliste radical, Pierre Rigaux, s'est montré très vache avec le fromage jurassien. Accablé de tous les maux. Il détruirait l’environnement, causerait la mort des rivières, serait source de maltraitances ignobles pour les vaches. Conclusion : quelle raison de manger du comté si ce n’est pour se faire plaisir (oui oui)? Il faut arrêter.
Est-ce que le bilan du comté est à ce point terrible ?
La chronique est incroyablement partiale. Il ne faut pas oublier qui la signe : un militant dont le but n’est pas l’amélioration écologique du produit, mais la fin de l’élevage. Quitte à raconter n’importe quoi, pour y parvenir. La production du comté figure parmi les modèles agricoles les plus vertueux en France. S’il est écologiquement intolérable, c’est qu’aucune agriculture n’est tolérable.
Le comté ne pollue pas les rivières ?
Splendide raccourci. Bien plus que du fromage, les rivières du Jura souffrent du réchauffement climatique, du manque d’eau. Les truites n’aiment pas ça. La moindre dilution fait monter les taux de nitrate dans l’eau et favorise les algues. Mais le comté n’a à voir avec ça que de loin. Quand on veut tuer la vache, on accuse sa bouse.
Vous vous êtes penchée sur le cahier des charges du comté, qui a été resserré drastiquement en 2024
Ironiquement, il répond à toutes les obsessions de l’écologie politique sur l’agriculture. Il repose sur la prairie, le modèle le plus vertueux en captation de carbone, et qui ne nécessite pas de pesticides et très peu d’engrais. La composition de ces prairies a été retravaillée, pour multiplier la biodiversité végétale. Quand je dis prairie, c’est beaucoup de prairie : 30% de surface de plus par vache que la norme. C’est un élevage hyperextensif, le rêve de tout écologiste, révulsé par les “ fermes usines”. Le volume de lait produit par chaque vache est limité. Les fourrages pour l’hiver doivent venir à 80% de la zone comté et à 70% de l’exploitation elle-même. L’idée, c’est l’autonomie alimentaire locale. Là encore, un mantra écolo. Dernière chose : la filière comté est économiquement la mieux organisée de France, la valeur des 70000 tonnes produites chaque année revient aux producteurs. Il y a donc des écolos pour vouloir détruire ce qu’ils réclament par ailleurs à cors et à cris, la reprise en main de l’agriculture par les paysans.
Les écologistes sont gênés aux entournures par l’injonction d’arrêter le comté
Vue l’ampleur des réactions, qu’on peut résumer par “ les écolos radicaux ne vont donc jamais nous foutre la paix ? “ La patronne des Verts, Marine Tondelier, a dû se fendre sur les réseaux sociaux d’une photo avec un morceau de comté et d’un long communiqué embrouillé pour dire que oui, elle soutient l’auteur de la chronique, mais que non, il ne fait pas arrêter le comté, simplement améliorer les pratiques.
Un exercice acrobatique dicté par un constat : la criminalisation morale de l’assiette par les animalistes et les donneurs de leçon verts révulse la plupart des Français. La chronique a atteint l’exact inverse du but recherché. Ce n’est pas le comté qui en sort stigmatisé, mais les peaux de vache sectaires qui veulent sa mort.